Des larrons au Castel

Avec sa Lisette à la  « conversation » éblouissante (certains yeux en clignent encore), son Arlequin grandiose de sincérité balourde, Sylvia et Dorante en élégant duo, avec Monsieur Orgon et Mario en coquins de père et frère, et une valetaille du plus bel effet… oriental, « le Jeu  » du tandem Marivaud- Lemaire est une réussite ! Que décor, lumière et son accompagnent avec bonheur.

Un jour pour sûr, le metteur en scène tomba en amour avec ce Marivaux-là, cela se voit. Sur le langage, les personnages, le message véhiculé par l’auteur, et surtout le rôle central que tous deux donnent à l’acteur, il est intarissable :

« Marivaux utilise une langue sublime.Voyez Sylvia : elle ne dit pas à sa servante « Tu m’énerves » mais «  Vous travaillez à me fâcher, Lisette » Ce qu’on aimerait entendre ces mots-là dans la vraie vie !  « Le mérite vaut bien la naissance » dit Dorante. En 1734, Marivaux est éminemment révolutionnaire. A la différence du moraliste Beaumarchais, Marivaux place ses sentences dans la bouche de ses personnages. Entre deux frivolités. Il échappe ainsi à la censure » .

Même s’il encore ému de son couronnement au palmarès 2015 du théâtre – Molière de la mise en scène pour  Les coquelicots des tranchées – Xavier Lemaire garde les pieds sur terre :

« Le théâtre français va mal. Des lieux ferment, des festivals se meurent. Alors qu’il y en a des choses à faire ! »

Après la guerre de 39 et celle de 14, l’artiste rêve à une prochaine livraison autour de l’Algérie.

« On prétend que la culture coûte. Je prétends, moi, qu’au contraire elle rapporte. Voyez l’effet 2003 en Avignon ! Ce n’est que lorsque la culture disparaît que l’on s’aperçoit de son importance. »

Xavier Lemaire parle économie mais aussi -et surtout- humanisme :

« Je serai très heureux ce soir si, au sortir du Castel, une personne au moins voyait le monde différemment. C’est à cela que sert le théâtre. Il nous aide à regarder autrement. Pour mieux voir.»

A la fin du spectacle, le metteur en scène et ses comédiens se sont prêtés à un bord de scène pédagogique, diablement intéressant. Où l’on causa pêle-mêle de Molière et de Shakespeare, de l’amour et du théâtre, de l’amour du théâtre.

Sur le cadre à photo que Xavier Lemaire et son petit monde ont dédicacé hier soir, il est écrit : « Quel plaisir d’être les premiers à inaugurer ce théâtre magnifique… ». A l’instar des fins de matchs, on sait les soirs de spectacle pleins de fièvre et les artistes, libérés du trac, enclins à encenser leurs commanditaires.

Une chose est sûre : aidé de ces bons larrons, le Castel hier a dopé son âme.

Pour mieux connaître :

La compagnie des Larrons et Xavier Lemaire

Marivaux et son Jeu de l’Amour et du hasard.

« Xavier Lemaire est, à mon sens, l’une des personnalités les plus attachantes et les plus créatives du monde théâtral français ; quelqu’un pour qui, comme pour Molière, le théâtre se vit en troupe et comme un sacerdoce au service du public. » Jacques Paugam

 

 

 

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